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Russie : bataille pour la démocratie

Dernière mise à jour : 8 mars 2021

Voilà d’un mois qu’Alexeï Navalny a été arrêté par les autorités russes à son retour à Moscou, le 17 janvier. Le 2 février, à la suite d’un jugement expéditif tenu dans un commissariat, il a été condamné à deux ans et huit mois de colonie pénitentiaire. La Russie traverse une période trouble dans laquelle l’empoisonnement et la condamnation arbitraire de l’opposant à Vladimir Poutine n’est qu’un des nombreux évènements qui touchent le pays. Guerre en Ukraine, Loukachenko en Biélorussie, conflit entre Arménie et Azerbaïdjan, tous ces bouleversements ont fini par fragiliser le pouvoir de Vladimir Poutine, en place depuis 1999. La mentalité des russes est en train de changer et plus que Navalny, un réel mouvement démocratique russe s’est mis en marche nous dit Marie Mendras, chercheure au CNRS et professeure à Sciences Po.



La situation actuelle


Corruption, mensonge, empoisonnement, assassinat, répression, manifestations… Voilà les mots qui viennent à l’esprit pour décrire la situation actuelle en Russie. Le 20 août dernier, le principal opposant au président russe Vladimir Poutine, Alexeï Navalny, a été empoisonné au novichok, une substance chimique fabriquée dans un laboratoire militaire russe. Après une hospitalisation à Berlin, l’avocat de 44 ans est retourné en Russie pour continuer la lutte. Il est arrêté en sortant de l’avion, le 17 janvier. S’en est suivie une vague de marches pour sa libération et celle de prisonniers politiques à travers toute la Russie et le monde. « Liberté pour Navalny », « Poutine voleur » scandaient les manifestants. Le régime poutiniste réagit violemment et des milliers de personnes sont arrêtées.


Tiziana Fabi / Mladen Antonov pour l'Agence France-Presse

Un aboutissement de multiples bouleversements


Pour bien comprendre ces évènements, il nous faut remonter dans le passé. Plusieurs éléments ont créé un mécontentement voire une colère grandissante chez les Russes. Ces dernières années, la Russie a participé à de nombreux conflits : avec l’Ukraine avec l’annexion de la Crimée et l’intervention au Donbass, ou encore en faisant office de « médiateur » dans le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour le Haut-Karabakh dont la Russie n’est pas ressortie victorieuse mais affaiblie. L’interventionnisme du régime poutiniste en a pris un coup. Le gouvernement russe a également pris part dans les incidents en Biélorussie, en soutenant le président sortant Alexandre Loukachenko, qui avait falsifié les résultats de la présidentielle du 9 août, et a choisi la répression violente contre la société qui continue de manifester contre le dictateur en place depuis 26 ans.


Tout cela a attisé l’exaspération des Russes mais leur mécontentement, lui, vient davantage de la politique intérieure à leur pays. En effet, après avoir dit que jamais il ne modifierait la constitution, Vladimir Poutine a organisé un coup de force constitutionnel lui permettant de se représenter à plusieurs reprises. En 2008, celui-ci avait utilisé une astuce qui consistait à alterner les fonctions de président et de premier ministre entre lui et son fidèle acolyte, Dmitri Medvedev, tout en conservant la totalité de son pouvoir. Poutine a décidé de s’attaquer à la constitution, et à la loi, puisqu’il a fait voter des législations liberticides. Son régime est désormais perçu par une majorité de Russes comme inefficace, corrompu et illégitime, notamment dans la gestion de la pandémie. C’est dans cette situation de crise sociale, sanitaire et économique que des millions de Russes soutiennent l’opposition démocratique et réclament une transition démocratique.


EPA-"Un pour tous et tous pour un" pour soutenir le leader de l'opposition Navalny

Le changement dans les mentalités


Dans ce contexte de crise, l’opposition à Vladimir Poutine, dont Navalny est l’une des figures principales, s’est mise au travail pour faire prendre conscience aux russes de l’ampleur de la corruption. L’enquête de l’équipe de Navalny sur son empoisonnement a désigné plusieurs agents du FSB comme responsables mais encore une fois, Poutine a répondu par le déni, le mensonge et le mépris. La vidéo dénonçant l’enrichissement du président à travers la construction d’un palais au bord de la Mer Noire a été vue plus de 120 millions de fois. Cette fois-ci Poutine, qui « d’habitude ne répond jamais aux attaques » a affirmé qu’il n’en était pas propriétaire. Faisant preuve de faiblesse en répondant, Poutine s’est exposé et a dévoilé l’affolement qui saisit le Kremlin. « C’est la panique totale au Kremlin ». La « parodie de procès » de Navalny a montré que le pouvoir a peur de l’opposant et des manifestants.


KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP - Dans les rues de Moscou samedi 23 janvier.

Les mentalités en Russie évoluent. « De plus en plus de russes comprennent que le régime est violent et tabasse aussi bien des grands-mères que des jeunes filles ». L’exaspération s’est transformée en mécontentement puis en colère. Sommes-nous en phase d’une transition démocratique pour la Russie ? Il est encore trop tôt pour le dire. En tout cas, ce mouvement a eu un réel impact sur les Russes dont beaucoup ne voient désormais plus leurs dirigeants comme légitimes. Alexeï Navalny, lui, a acquis du soutien à travers la Russie en ouvrant des quartiers généraux dans une cinquantaine de provinces. « La mesure de son importance, de son influence se mesure par le nombre de russes qui connaissent Navalny et savent ce qu’il lui arrive ». Ils sont aujourd’hui plus de 20% des Russes à le soutenir, ce qui est considérable dans un pays autoritaire. Navalny représente l’avenir à travers son discours très tourné vers le futur contrastant avec les discours des dirigeants sous Poutine dont le discours est tourné vers le passé.


Ces événements signent-ils l’arrêt de mort de Poutine ? Sera-t-il écrasé par le régime ? Qu’est-ce qui émergerait de ce mouvement s’il aboutissait ? Tant de questions sans réponse pour l’instant.


Cependant, ces interrogations révèlent que cela dépasse Navalny et qu’il s’agit d’un véritable mouvement démocratique contre la corruption et la répression. Sa simple existence est un réel changement dans le paysage politique russe, resté statique et quasi-monochrome pendant plus de 20 ans.



*Les citations en italique sont issues d’une interview de Marie Mendras, politologue spécialiste de la politique russe, chercheuse au CNRS, professeure à l’institut d’études politiques de Paris (Science Po).

Propos recueillis par Gabriel Bardon pour le Fénelon’ménal


 

Sources :


Le Monde, Marie Mendras : « Si le Kremlin ne sauve pas Loukachenko, c’est parce que sa marge de manœuvre est étroite » 8 septembre 2020

Le Monde, Marie Mendras : « Le courage d’Alexeï Navalny donne aux manifestants la force de ne plus avoir peur » 4 février 2021

« La défaite arménienne n’est pas une victoire russe » 1er décembre 2020, Boulevard exterieur

« Navalny : la vie devant soi » par Marie Mendras, revue Esprit, janvier 2021

« Le coup constitutionnel de Vladimir Poutine » par Marie Mendras, revue Esprit, mars 2020

“Navalny Brother, Aides Under House Arrest Ahead of New Russia Protests” de Anna Smolchenko pour l’AFP, 29 Janvier 2021

“Alexei Navalny may be in jail, but he’s helping to give birth to a new Russia” Opinion de

Vladimir Kara-Murza, 29 Janvier 2021

“Don’t Look for Political Logic in the Kremlin’s Treatment of Navalny” 20 Janvier 2021 de Tatiana

Stanovaya

“Russian Protest in the Age of Online Transparency” 26 Janvier 2021 de Andrei

Kolesnikov

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