La question du Brexit semble diviser le Royaume-Uni,ou plutôt réveiller des divisions qui ont longtemps animé les désirs indépendantistes. Comprendre comment le Royaume-Uni s’est-il uni et s’il s’est déjà réellement uni,permet d’éclairer la crise que le pays connait aujourd’hui.
Si l’ensemble du Royaume-Uni se sont prononcés pour une sortie de l’Union Européenne lors du référendum du 23 juin 2016, les quatre nations constitutives, examinées séparément, sont, elles, en désaccord. Le pays de Galles et l’Angleterre votent de justesse le Brexit, alors que l’Irlande du Nord et l’Écosse votent « non » avec respectivement 56% et 62% des voix. L’Écosse se sent particulièrement lésée : elle n’a, en effet, voté un maintien dans le Royaume-Uni lors de la consultation de 2014 que pour rester au sein de l’Union Européenne. Or, seulement deux ans après le referendum, la sortie de l’Union est votée. Le Royaume-Uni n’a jamais semblé aussi désuni… ou plutôt si visiblement, désuni pour nous, car, dans les faits historiques, le Royaume-Uni a-t-il déjà été uni ? L’unification de l’Angleterre avec l’Irlande, l’Ecosse et le pays de Galles est une lente et sanglante épopée qui semble ne jamais s’être réellement terminée.
Tout d’abord, avant que l’Angleterre ne cherche à imposer son hégémonie sur l’Écosse, l’Irlande et le pays de Galles, il a fallu que chaque nation devienne une nation à part entière. Il a fallu que l’Écosse allie Pictes et Scots d’Irlande, que l’Angleterre concilie Bretons, Angles et Saxons d’origine germanique, et que l’arrivée, à la fin du VIIIème siècle, de commerçants-pirates païens d’Europe nordique, les « Vikings », cristallise l’unification politique de chaque nation autour d’un but commun : se défendre.
Cependant, alors que l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande n’existent pas encore, Guillaume, duc de Normandie, entreprend la conquête de l’île : il est alors proclamé roi d’Angleterre. C’est le début de l’expansionnisme Plantagenêt. Henri II parvient à conclure presque simultanément le traité de Falaise et le traité de Windsor qui entérinent sa suzeraineté sur l’Écosse et l’Irlande. La sujétion de l’Écosse est cependant de courte durée : Richard Cœur de Lion, son fils, revend ses droits sur l’Écosse au roi Guillaume Ier d’Écosse afin d’obtenir l’aide financière nécessaire à sa croisade. L’ambition anglaise ne s’apaise cependant pas. Le pays de Galles est annexé en 1284 après une rébellion violemment écrasée en 1277 et l’Écosse est envahie. La nation connaît deux guerres d’indépendance dont elle sort victorieuse grâce à la bravoure du roi Robert Bruce qui parvient à animer la résistance dans un pays en passe d’être conquis.
Deux cents ans plus tard, le roi Jacques IV Stuart d’Écosse envahit l’Angleterre en 1513. Il trouve cependant la mort à Flodden avec près de 10 000 Écossais. Après une longue régence, son fils, Jacques V, lance à son tour une offensive contre l’Angleterre, rapidement arrêtée par la défaite de Solway Moss en 1532. Henri VIII veut saisir l’opportunité mais tente en vain d’obtenir le mariage de son fils Edouard avec Marie Stuart, unique héritière du trône d’Écosse, qui finit par épouser le dauphin de France. En outre, Henri VIII rompt avec la politique de contrôle à distance de l’Irlande quand le parlement de Dublin vote, en 1541, la création d’un royaume d’Irlande dont Henri est proclamé souverain. L’afflux de mercenaires et de colons britanniques suscite des tensions entre ces « new English » protestants et les « old English » catholiques, installés depuis le Moyen-Âge.
réalisé par Bertille Ducorps
Les affaires anglaises et écossaises se mêlent encore plus sérieusement lorsque le fils de Marie Stuart, Jacques VI, est désigné en 1603 pour succéder à la reine Elizabeth Ier. Si Jacques VI est le premier souverain à régner sur l’ensemble de l’île, il échoue à promouvoir auprès du parlement la constitution d’une monarchie anglo-écossaise. Le drapeau « britannique », le futur Union Jack, associant croix de Saint-Georges (patron de l’Angleterre) et de Saint-André (patron de l’Écosse) est néanmoins créé en 1606 tandis que la licorne écossaise rejoint le lion anglais sur les armoiries royales.
Néanmoins, Charles Ier, son fils, mène une politique très personnelle qui déclenche une guerre civile avec le Parlement. Oliver Cromwell, après un procès douteux, exécute le roi pour haute-trahison et fonde une république autoritaire. La guerre civile rebondit quand, en 1649, le Parlement charge Cromwell d’intervenir militairement en Irlande, alors déchirée par les conflits interreligieux. Les armées parlementaires sont sans merci contre les insurgés, à l’image des massacres de Drogheda et de Wexford. L’estimation du bilan humain (pertes militaires, déportations de prisonniers dans les colonies, victimes de famine) varie entre 10 et 40% de la population irlandaise.
Par ailleurs, en Écosse, la réprobation du régicide conduit à la proclamation du fils de Charles Ier comme nouveau souverain. Cromwell, rappelé d’Irlande, défait les Écossais à Dunbar puis à Worcester. Charles II est contraint à l’exil. Le pays est placé dans les mains d’administrateurs anglais sous l’autorité militaire d’un proche de Cromwell. Mais l’Acte d’Etablissement de 1701, qui institue le principe de succession protestante par l’invalidation de tout catholique ou conjoint de catholique, transfère la couronne d’Angleterre aux descendants de la princesse Sophie de Hanovre, petite fille de Jacques Ier. Ainsi, après de difficiles tractations, l’Écosse accepte l’intégration du pays à l’Angleterre dans le Royaume-Uni de Grande-Bretagne en 1707.
Le pays est néanmoins secoué d’une dernière grande crise jacobite – un mouvement qui voulait le rétablissement de la dynastie Stuart sur le trône d’Angleterre – avec les rébellions de 1708 (suite à l’union de 1707), 1715 et 1719 (après l’avènement des Hanovre). En 1745, le débarquement de Charles-Edouard Stuart soulève à nouveau les clans des Highlands : Edimbourg est prise et l’Angleterre envahie jusqu’à Derby, à 200km de Londres. La réaction militaire hanovrienne repousse les jacobites jusqu’au nord de l’Ecosse où ils sont écrasés à Culloden en 1746. Des voies et des forts militaires sont établis dans les Highlands tandis qu’une série de lois répressives interdit le port d’armes (déjà édictée en 1715), du kilt (jusqu’en 1782) et démantèle les clans.
L’Irlande est également intégrée au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande à travers l’Acte d’Union de 1801 qui succède à la rébellion irlandaise de 1798 et à sa féroce répression (30 000 morts). La croix de Saint-Patrick est ajoutée à l’Union Jack qui prend sa forme actuelle. Le pays est unifié sur le papier mais que dire de la réalité ? Les relations s’enveniment dès 1845 lorsque l’Angleterre refuse d’aider l’Irlande au moment de la Grande Famine : un million d’Irlandais meurent tandis qu’un autre million et demi sont condamnés à l’exil. Un demi-siècle plus tard, la révolution de Pâques de 1916 tente de fonder une République. Les anglais répliquent cependant par un bombardement qui fait 450 victimes. La colère des irlandais conduit à la formation d’un groupe paramilitaire indépendantiste, l’IRA, qui mène une stratégie de guérilla à partir de 1919. Le traité de 1921 met un terme à cette guerre anglo-irlandaise mais sépare l’Irlande du Sud, à majorité catholique, de l’Irlande du Nord composée de catholiques comme de protestants.
Le combat ne fait pourtant que commencer pour l’Irlande du Nord où la ségrégation économique, sociale et politique règne au détriment des catholiques. Les « Troubles », nés de cette discrimination, culminent avec le Bloody Sunday qui fait quatorze morts à Belfast en 1972. S’ajoute à cela la grève de la faim de Bobby Sands qui le condamne, lui, ainsi que dix prisonniers de l’IRA en 1981. L’accord du Vendredi Saint, le « Good Friday Agreement », en 1998, permet finalement l’établissement d’une assemblée d’Irlande du Nord et d’un gouvernement décentralisé. Le conflit nord-irlandais aura fait 3 500 morts. Par ailleurs, si les référendums demandés par le Scottish National Party en Écosse et du Plaid Cymru au pays de Galles sont rejetés en 1979, ils sont approuvés en 1997, permettant la mise en place d’un parlement écossais à Edimbourg, chargé de l’éducation, de la justice, de la santé et de la culture, ainsi qu’une assemblée nationale au pays de Galles à Cardiff (devenu Parlement gallois en 2020) également dotée de pouvoirs étendus.
Les différentes nations constituant le Royaume-Uni n’ont pas cessé de chercher à acquérir leur indépendance depuis le XIIème siècle en raison de divergences autant cultuelles que culturelles. Les velléités indépendantistes de l’Écosse et de l’Irlande aujourd’hui visibles ne sont ainsi pas nouvelles : elles se confrontent aux ambitions de suprématie de l’Angleterre depuis presque un millénaire. Le Brexit ne fait donc que réveiller ce que le principe unificateur de l’Union Européenne est parvenu à endormir pendant un temps : la profonde désunion du Royaume-Uni.
Sources :
Histoire de la Grande-Bretagne, Jean-François Dunyach
Le Monde
Image de couverture : Le Point
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