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Mathilde Soulie et Alice Estellat

Silence radio en Birmanie

Le 1er février 2021, la Birmanie connaît un tournant : d’une démocratie fragile, elle redevient une dictature militaire. Le Fénelon’ménal vous propose sept questions pour comprendre la crise politique en Birmanie. 



I- Carte d’identité de la Birmanie 

  • Nom officiel : République de l'Union du Myanmar

  • Superficie : 676 577 km²

  • Population : environ 55 millions d'habitants

  • Densité : environ 78 hab./km²

  • Capitale : Naypyidaw (depuis 2005)

  • Président : Win Myint, depuis mars 2018

  • Régime politique : république depuis 2011 (coup d'État militaire, le 1er février 2021)

  • Religion officielle : bouddhisme Theravāda

  • Groupes ethniques : birman (68 %), shan (10 %), karen (7 %), rakhine (4 %), chinois (3 %), indien (2 %), môn (2 %), wa (2 %), kachin (1 %), autre (1 %)

  • Langues : birman, anglais, langues et dialectes des diverses minorités ethniques

  • Monnaie : le kyat (Ks)

  • Salaire mensuel moyen : environ 400 000 Ks (240 €) dans le privé, et 60 000 Ks (36 €) pour un fonctionnaire

  • Fête Nationale : le 4 janvier (Jour de l'Indépendance) 


II- La Situation en ce moment en Birmanie 


1- Que s’est-il passé le 1er février ?  


Le 1er février 2021, la première session post-élections du Parlement devait avoir lieu à Naypyidaw où le gouvernement était en train de se mettre en place, sauf que l’armée a déployé des troupes et des véhicules blindés pour bloquer les axes permettant d’accéder au Parlement. L’armée birmane dirigée par le général Min Aung Hlaing a arrêté le président de la République, Win Myint, et sa conseillère d’État spéciale, Aung San Suu Kyi (icône de la paix et de la démocratie en Birmanie). Dans tout le pays, les forces militaires se sont déployées, la télévision publique a cessé de diffuser ses programmes, les communications ont été interrompues la majeure partie de la journée.

À Rangoun, la capitale économique du pays, les militaires se sont emparés de l’hôtel de ville et ont fermé l'accès à l’aéroport international. Le vice-président, Min Swe, a été désigné président par intérim et a transféré les pleins pouvoirs au général Min Aung Hlaing. En plus d’être commandant en chef des armées, il concentre désormais les pouvoirs législatifs, administratifs et judiciaires. Il a proclamé l'état d’urgence pour un an, mettant brusquement fin à dix ans de transition démocratique.



2- Qu’est-ce qui a provoqué ce coup d'État ? 

La ligue d’Aung San Suu Kyi a remporté la majorité des places des deux chambres du Parlement le 8 novembre 2020. Symbolisant l’espoir d’un régime démocratique nouveau, le Parti de l’union, de la solidarité et du développement (USDP) s’affirme depuis 2015, date à laquelle il remporte une majorité écrasante et se hisse à la tête du gouvernement. Bien que la junte militaire contrôle le ministère de l’Intérieur et de la Défense, il s’ensuit alors une démocratisation progressive des institutions politiques.

La montée en puissance de la ligue qu’incarne Aung San Suu Kyi entraîne la réaction violente de l’état-major. Les généraux birmans dénoncent des “fraudes” au cours des élections législatives du 8 novembre 2020, ce qui justifierait le peu de sièges qu’ils ont remportés. Le putsch n’est alors qu’”un rétablissement de l’ordre” aux yeux de l’armée birmane. Celui-ci est facilité par l’instabilité du régime, (4ème coup d’État en 60 ans) ainsi que l'ouverture relativement récente du régime à la démocratie et aux relations internationales. 

Min Aung Hlaing, commandant des forces armées et instigateur du coup d’État

© AFP


3- Quelle place les militaires ont-ils en Birmanie ? 

“Aujourd’hui, l’armée n’est plus synonyme d’unité nationale, au contraire je dirais, l’armée fait l’unité nationale contre elle », explique Sophie Boisseau du Rocher.

En 1948, la Birmanie obtient son indépendance. Néanmoins, de fortes tensions interethniques apparaissent dans le pays, c’est pourquoi l'armée, avec comme objectif de rétablir la stabilité à l’échelle nationale, prend de plus en plus d’ampleur et finit par être le pilier central du régime politique birman. En effet, de 1962 jusqu’au début des années 2000, une dictature militaire qui persécute régulièrement les religions non-bouddhistes et en particulier les musulmans, gouverne le pays. Cependant, les nombreuses sanctions économiques de la communauté internationale plongent le pays dans une crise économique. Les militaires consentent donc à faire basculer le pays dans une transition démocratique.


Sophie Boisseau du Rocher affirme que “l’armée a compris qu’elle était en retard sur les pays voisins et qu’elle ne pouvait pas continuer à accumuler ce retard. Cela a donc marqué le début d’une transition économique et politique”.

De plus, en 2007 éclate la révolution de Safran, un mouvement populaire d’une grande ampleur, obligeant donc l’armée à créer une nouvelle constitution avec l’autorisation d’élections législatives et ainsi la mise en place d’un nouveau gouvernement.

Néanmoins dans cette constitution de 2008, l’armée s’attribue 25% des sièges parlementaires ainsi que le contrôle des ministères de la Défense, de l’Intérieur et des Frontières. 


Par ailleurs, l’armée bénéficie d’un autre soutien : le Parti de l’union, de la solidarité et du développement (USDP) qui est composé d’anciens militaires ou de retraités ayant quitté l’armée. Le poste de premier vice-président revient toujours à un membre de ce parti. Cela explique qu’après l’arrestation du président le 1er février 2021, le vice-président par intérim Min Swe, un ancien général, a transféré les pleins pouvoirs au général Min Aung Hlaing. 


4- Pourquoi parle-t-on autant de Aung San Suu Kyi ? 

Aung San Suu Kyi est une icône de la paix, l’incarnation de la lutte contre la junte militaire et l’espoir d’une démocratie...


Aung San Suu Kyi, ancienne cheffe du gouvernement, assignée à résidence depuis le coup d’État © Reuters

Fille du père de l’indépendance, Aung San, les faits et gestes d’Aung San Suu Kyi sont médiatisés à l’international dès 1988, date de son retour en Birmanie. Elle se prononce alors en faveur de la démocratie, ce qui lui attire les foudres de la junte militaire. Refusant de quitter la Birmanie, elle est par la suite assignée à résidence pendant près de 15 ans. En récompense pour son courage et sa lutte contre la junte militaire, elle reçoit le prix Nobel de la paix en 1991. Lorsqu’elle est autorisée à quitter sa résidence en 2010, elle ne tarde pas à revenir dans le jeu de la lutte du pouvoir. Malgré les nombreuses difficultés traversées, elle est la cheffe du gouvernement de facto de 2016 à 2021. Elle est à ce jour assignée à son logement de force par l’armée qui l’accuse d’avoir acheté des talkies-walkies à l’étranger.

Bien qu’elle dispose d’un soutien incontestable du peuple en tant qu’espoir vers une transition démocratique, sa notoriété à l’international reste moindre suite à sa prise de position au sujet des persécutions des Rohingyas, minorité musulmane.  



5- Qui sont les manifestants opposés à ce coup d’État ? 

« Aujourd’hui, ce sont tous les corps de la société birmane qui manifestent contre ce putsch. Il y a une véritable unanimité contre le retour des militaires au pouvoir », analyse Bénédicte Brac de la Perrière, ethnologue, spécialiste de la Birmanie, chercheuse au CNRS et au CASE (Centre Asie du Sud-Est). 


Le mouvement de la désobéissance civile (CDM) brandi dans les rues de Rangoun, le 18 février © APNEWS

Depuis le coup d'État de l’armée, une grande partie de la population pro-démocratique manifeste dans les rues. De nombreuses communautés ethniques ainsi que toute la population confondue (étudiant, ouvriers, avocats...), contestent ce coup d’État en protestant avec des pancartes affichant le visage d’Aung San Suu Kyi, ainsi que l’acronyme CDM (mouvement de désobéissance civile). De plus, ces militants marchent dans les rues avec le signe de ralliement issu de la fiction Hunger Games pour montrer qu’ils sont pacifistes. 

Ce sont en particulier les jeunes qui sont au cœur de ce mouvement populaire. En effet, mieux formés et plus connectés, les jeunes Birmans ne comptent pas laisser leur pays revenir en arrière. La chercheuse Sophie Boisseau du Rocher affirme “qu’ils sont prêts à mourir pour leur pays”. 

Le principal levier des manifestants est d’atteindre les intérêts économiques de la junte en continuant à bloquer le pays. On note que de nombreux Birmans sont allés retirer leur argent auprès des banques détenues par la junte, ou bien de fréquents blocages de la circulation dans lesquels des activistes réparaient leur vélo au milieu de la route. Le 17 février, des dizaines de camions et de voitures se sont même arrêtés sur les routes de la ville de Rangoun car ils étaient soi-disant en panne. D’autres actions ont eu lieu pour montrer le mécontentement des Birmans comme par exemple le piratage de sites gouvernementaux, des attaques contre deux usines chinoises ou encore l’arrêt de travail de nombreux fonctionnaires. Les réseaux sociaux, utilisés par de nombreux jeunes, sont aussi un moyen pour les manifestants d’exprimer leur désaccord. En effet, l’armée birmane ayant pris en compte son importance et désirant garder le contrôle sur la population, a provoqué de nombreuses coupures de communications et d’accès à Internet dans le pays. 



6- Comment s’organise la répression par l’armée ? 

L’association pour l’assistance aux prisonniers politiques, une ONG locale qui recense le nombre de décès depuis le putsch, estime que le nombre total de victimes de la répression s’élève à environ 420 depuis le début du putsch. En effet, l’armée qui au départ utilisait seulement des lances à eau et des balles en caoutchouc a fini par avoir recours aux armes meurtrières. 

Le samedi 27 mars, date considérée en Birmanie comme la journée des forces armées, a été reconnu comme la journée la plus meurtrière avec au moins 89 manifestants prodémocratie tués, dont plusieurs enfants. En effet, un peu partout dans le pays, lors de cette journée, de nombreuses répressions militaires ont eu lieu. C’est le cas à Rangoun, où au moins cinq personnes ont été tuées dans la nuit par la police qui a ouvert le feu sur des manifestants réclamant la libération de leurs amis. Dans le nord-est de la Birmanie, dans l'État de Shan, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur un rassemblement d’étudiants à Lashio, faisant au moins trois morts, selon un secouriste. De plus, dans deux villes de la région de Sagaing, cinq personnes ont été tuées dont un adolescent de 13 ans pris dans une fusillade. Pour finir, un bombardement a eu lieu sur l'État de Karen. La Cinquième brigade de l’Union nationale karen (KNU), des rebelles armés qui soutiennent les contestations, affirment avoir été la cible de bombardements menés par la junte au pouvoir. 


7- Quelles sont les répercussions à l’international ?

La communauté internationale condamne le coup d’État. Ainsi Joe Biden, président des États-Unis, a annoncé la réduction des fonds américains destinés aux Birmans, un coup fatidique pour un pays déjà économiquement en retard par rapport à ses voisins.


Le secrétaire de l’ONU ainsi qu’Emmanuel Macron ont appelé à libérer les manifestants et les membres de l’USPD. Si certains s’inquiètent de la violence de la répression de l’armée birmane contre son peuple, la Chine, quant à elle, pourrait pour ses propres intérêts aider la Birmanie à sortir de la crise et garantir parallèlement sa stabilité en soutenant la junte militaire, selon Sophie Boisseau du Rocher. 



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