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Film : La Collectionneuse – Eric Rohmer

Dernière mise à jour : 2 janv. 2021

Les chroniques de Vera


Introduction :

En 1967 paraît La Collectionneuse, quatrième film d'une série de six longs-métrages intitulés les Six contes moraux, écrits et réalisés par Éric Rohmer. Ce conte moral complexe peut paraître au premier abord ennuyeux et soporifique à cause de son aspect fictif peu attrayant. Néanmoins, le style cinématographique de Rohmer qui associe paradoxalement une diction antinaturaliste et une mise en scène naturaliste et réaliste, foisonne en authenticité. Ses répliques fines récitées de façon rhomérienne, sont d'une telle profondeur complexe, qu'il nous faut des dizaines de visionnages, par tous les âges, pour en comprendre le sens délicat.


Le film est narré par un jeune homme désemparé qui part avec son ami Daniel à la recherche du « vide » et du « rien », dans un environnement paisible et serein, après le délaissement de sa fiancée. Seulement ses vacances reposantes à la recherche du "rien", sont achalées par la présence disparate d'une jeune femme qui collectionne les hommes. Comme dans beaucoup d'autres Rohmer, La Collectionneuse tourne autour de la question de l'amour et de la séduction, concept moral qu'incarne le seul personnage féminin de la fiction, la belle Haydée.



POURQUOI "SIX CONTES MORAUX" ?


"CONTES"

La dimension du conte traditionnel est présente dans la structure cinématographique et non dans l'aspect fictif de l'œuvre, d'où émane un naturalisme propre à Rohmer. En effet, le film s'intitule La Collectionneuse, ce qui reprend un trait majeur de la personnalité d'un des trois personnages centraux, et qui expose le concept moral qui sera développé dans le film, comme dans un conte traditionnel (Le Petit poucet, Cendrillon, La belle et la bête). De plus, les personnages de l'œuvre sont assez stéréotypés et incarnent tous une idée morale que le réalisateur veut exposer.



"MORAUX"

Derrière les six fictions de Rohmer se cache une leçon qui s'engage à représenter une certaine vérité que le réalisateur souhaite approfondir et explorer à travers le cinéma et l'écriture des répliques. Dans le cas de la collectionneuse, les thèmes principaux de l'œuvre sont la séduction et les types de relations qu'on entretient avec les autres.


A travers la fiction, le réalisateur expose sa vérité sur un concept moral complexe. Les six contes moraux de Rohmer sont alors des fictions morales qui représentent la vie cinématographiquement de la façon la plus réaliste qu'il soit.

L'astucieux alliage entre deux formes de narration opposées.


Composé de trois prologues introduisant les personnages principaux de l'histoire, La Collectionneuse calque cinématographiquement la structure d'un livre ordinaire. Si l'intrigue qui constitue le fil rouge du récit est sempiternel et sans grand intérêt, l'aspect cinématographique de l'œuvre regorge de richesses stylistiques. L'objet le plus intéressant dans cet œuvre de Rohmer, est le mariage du 7ème Art et de la littérature qui permet au réalisateur de posséder plusieurs outils pour développer un concept moral dans sa fiction. Le cinéma permet de poser des visages et un cadre spatial à la fiction, ne sollicitant pas l'imagination du spectateur comme le requiert la lecture. Ce ne sont plus des descriptions écrites qui nous sont proposées, mais des descriptions visuelles complémentées d'informations auditives, comme l'expose les prologues initiaux, dans lesquels Rohmer choisit cinématographiquement à travers ses plans, les traits de la personnalité de ses trois personnages qu'il veut dévoiler. C'est aussi à partir de ces prologues que les premières morales du conte nous sont proposées. Voici une interprétation possible des prologues :



HAYDEE

Le portrait d'Haydée est exclusivement construit à partir des plans, avec pour seule bande son, les fracas des vagues sur le sable.

Contrairement aux deux autres prologues, celui-ci ne traite pas un concept moral à travers la parole, ce qui pourrait signifier que Haydée ne possède pas de jugement moral. Par la succession des gros plans sur les différentes parties du corps de Haydée, Rohmer attire notre attention sur la beauté de la Collectionneuse comme s'il nous présentait un objet séduisant, dépourvu de pensées et de moralité. En effet, la séquence se focalise pleinement sur le corps de la jeune fille comme si elle n'existait que par son physique. Peut-être que nous pouvons interpréter ce portrait comme étant une dénonciation des filles qui collectionnent les conquêtes et qui ne jurent que par leur aspect physique, ou au contraire, cette succession de plans dévoilant chaque partie du corps de la jeune femme, peut témoigner d'une certaine fascination et sensibilité du réalisateur, sur la beauté presque inaccessible de certaines femmes.


L'absence de paroles peut aussi se rattacher au désir de laisser le spectateur juger par lui-même la Collectionneuse.



DANIEL

Dessin de Daniel - Le prologue de Daniel est le plus complexe des trois. Quelque chose de curieux émane de ce personnage à travers la mise en scène et les répliques, ce qui illustre l'extravagance, la complexité psychologique et la singularité de Daniel. Dans ce prologue, Rohmer a établi une corrélation significative entre les objets présents dans le champ et son surprenant personnage, ce qui permet d'établir le portrait complexe avec un maximum de précisions abstraites (les paroles conceptuelles de son ami qui peignent indirectement un des traits de la personnalité de Daniel) concrètes (la mise en scène des objets autour des deux personnages). Pour exposer la singularité étrange et insolite de Daniel, Rohmer a aussi recours au gros plan, dévoilant ainsi un amas d'objets abracadabrants, appuyé par l'intervention de l'autre comédien qui prononce à cet instant précis : « je ne fréquente que les gens qui sont dangereux. ». Par cette courte réplique, Rohmer éclaire aussi bien le spectateur sur l'environnement chaotique du personnage en établissant un lien entre le caractère du personnage et les objets de la pièce, qu'il ne l'embrouille pas sa réplique énigmatique qui laisse le spectateur dubitatif. Nous avons la confirmation à la fin du prologue que la discussion abstraite peignait le tempérament de Daniel, par le gros plan sur son visage où s’inscrit un sourire qui corrobore les paroles de son ami, et par l'expression de la couleur jaune présente sur le pull, la cravate et enfin par la boite entourée des lames de rasoirs qui constitue l’objet central de la discussion et qui incarne aussi la personnalité aiguisée de Daniel. Nous pourrions interpréter le personnage qui accompagne Daniel, comme étant Rohmer qui présente aux spectateurs son personnage complexe à travers des réflexions morales profondes, poussant ainsi le spectateur à réfléchir sur la question des personnalités uniques et marginales ("L'unité, l'unique, qui base sa cause sur rien et qui est entouré par sa propre pensée comme par des lames de rasoirs. Impossible à tenir."), sur la création artistique qui se fait à travers les objets et l'artiste, et sur la création qui naît du souci qu’ont les Hommes de l’effet qu’ils produisent sur les autres.



ADRIEN

Dessin d’Adrien - Dans ce dernier prologue est présenté le personnage principal qui se trouve également être le narrateur de l'histoire. Adrien est présenté par les répliques prononcées par son amie (« Enfin est-ce que vous pouvez avoir des rapports d'amitiés avec quelqu'un que vous trouvez laid ? ») comme étant beau, puisque cette dernière ne peut supporter fréquenter des personnes qu'elle juge laid ( « La laideur c'est une insulte pour les autres. On est responsable de son physique. »). A travers cette réplique, Rohmer expose un concept moral intéressant sur la construction des rapports d’amitiés et d'amour, qui rejoint les concepts moraux des précédents prologues. En effet, le premier prologue porte son attention par ses plans, sur la beauté qui fait naître la séduction, et le second prologue parle de la sélection des rapports amicaux par l’élégance et la singularité d'un Homme. Dans ce prologue, l’attention du spectateur est portée sur le concept moral, par le débat entre les trois personnages. La vision du couple sur la question de l'intercession de la beauté dans les rapports d'amitié, s’oppose à l'irréformable opinion de leur amie qui condamne les gens laids, qu'elle juge responsable par leurs agissements, de leur laideur.


Adrien est présenté aussi un peu comme un séducteur, d'abord par sa posture informelle et aguichante, et par la présence des deux femmes à ses côtés, ce qui diffère du prologue précédent. D'ailleurs, Adrien est fiancé à une jolie jeune femme, présentée comme une personnalité sociable. C’est après le délaissement de sa fiancée au milieu du prologue, que le personnage est exposé au spectateur comme étant sans doute un homme infidèle et aguicheur (« quelles affaires ? Moi je n’ai jamais vraiment cru à tes affaires tu sais. »). On pourrait éventuellement établir un lien entre le caractère charmeur d'Adrien, et la mention d'un collectionneur chinois, comme si le personnage rejoignait sur la question de séduction la collectionneuse.

La fin du prologue où Adrien surprend Haydée en plein milieu d'une relation avec un homme, confirme au spectateur la personnalité aguicheuse de la jeune femme, en plus de présager un futur jeu de séduction entre les deux personnages. Nous pourrions aussi interpréter la fin de ce prologue plus long que les deux autres, comme si Haydée était l’homologue d’Adrien sur le plan relationnel.

On retrouve dans chaque prologue la thématique de l'entourage. Différents points de vue sur les relations avec les autres, sont manifestés et ce de diverses manières. Dans le prologue de Haydée, c'est la solitude issue de l'inconstance relationnelle de la personne qui est manifestée par les gros plans sur la comédienne, excluant tout entourage possible. Dans celui de Daniel, le cercle amical s'élargit faiblement avec la présence dans le champ, d'un second personnage. C'est cette fois-ci par l'intermédiaire du scénario ("C'est ce vide autour de la personne que tu crées. Que tu crées avec les objets aussi d'ailleurs.") et du décor (par les objets et la mise en scène de la pièce), qu'est exposé le type de relations sélectives qui découlent d’une forme d’insociabilité. Enfin, suit le prologue d’Adrien où comparaît une personnalité sociable qui semble avoir du succès auprès de la gente féminine, traitant ainsi par les répliques :

« - On aime quelqu'un parce qu'on le trouve beau.

- Non. On trouve quelqu'un de beau parce qu'on l'aime. »


et par la mise en scène, le concept de la séduction et des critères de sélection d'amour et d'amitié.


Ce prologue permet aux spectateurs d’entrer dans le récit en possession des portraits physionomiques et psychologiques des personnages de la fiction, ce qu’un film aussi bien qu’un livre, ne peuvent réaliser indépendamment.


LES MOTS REMPLACENT LES NOTES DE MUSIQUE


Le film est dépourvu de musique de fond. Seule la voix grave et monotone d’Adrien crée, à la place des notes de musiques, une atmosphère calme, posée et sévère.


L'absence de musique pour accompagner le récit peut se justifier par le réalisme qui émane de la mise en scène, ou par la présence en fond, de la narration autobiographique, ou encore par sa structure fidèle à un livre. Il est possible que le réalisateur ait tenté de reproduire l'ambiance qui entoure un lecteur, afin de plonger au mieux le spectateur à la fois dans un film et dans un livre.


En réalisant La Collectionneuse, Rohmer reproduit ce qu'il se passe dans l'esprit d'un lecteur ; l'imagination qui place des images sur les mots cède sa place aux séquences extraites de l’imagination du réalisateur, et la petite voix du narrateur qui résonne silencieusement dans la tête du lecteur, est substituée par le ton terne du comédien qui enrichit la mise en scène.


La narration régulière tout au long du film apporte beaucoup de précisions dans l'histoire. En effet, grâce à la narration, nous connaissons les pensées et les ressentis d'Adrien. Cependant, elle ne nous permet pas d’interpréter la fiction de plusieurs façons. Seul le point de vue d’Adrien nous est proposé.


Tantôt descriptives, ses pensées emportent encore plus loin le spectateur dans la fiction, par sa précision apportée par la fusion entre la description écrite et les images cinématographiques, comme la narration des baignades matinales d'Adrien. Ses pensées sont parfois plus personnelles, lorsque par exemple il fait un point sur lui-même et cherche à justement ne plus penser. Le spectateur est alors plus intimement proche du personnage. De plus, au lieu de tourner un épisode futile au récit comme les soirées d'Haydée, grâce à la narration, Rohmer peut simplement relater par l'intermédiaire des observations d'Adrien, les nuits agitées de la jeune fille.


Si les descriptions sont précises et complètes, la narration profonde reste quand même très complexe. C'est très difficile de comprendre le sens des concept moraux exprimés dans cette œuvre. La beauté des paroles complexes parfois incomprises, sonne à notre ouïe comme une lointaine mélodie que seule la maturité de l'âge peut harmoniser.



CONSEIL DE FIN


Je vous conseille de jeter un œil à ces films, plus accessibles que La Collectionneuse qui est un long métrage très complexe. Ma nuit chez Maud est celui que je vous recommande fortement tant par sa qualité cinématographique que par l’histoire bien plus passionnante que celle de La Collectionneuse. Vous pouvez également voir Pauline à la plage du même réalisateur qui se trouve être en replay sur Arte jusqu’au 12 décembre 2020.


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