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Lili-Rose Tardot

Interview : « En Chine, la vie a repris son cours depuis longtemps »

En moins d’un an, le coronavirus a radicalement changé nos vies, nos habitudes et même notre façon de penser. Mais alors que la France, comme une majorité des puissances mondiales, vient de finir son second confinement, la Chine, elle, considère le virus comme appartenant au passé. Agathe, 16 ans, élève au Lycée Français de Shanghai depuis sept ans, nous explique pourquoi.


Les rues désertes de Wuhan, février 2020, AFP pour Les Échos


Agathe, cela fait donc plusieurs années que tu vis en Chine. Est-ce que tu pourrais nous donner quelques précisions sur ta vie là-bas ? Depuis combien de temps y vis-tu ? Comment l’école fonctionne-t-elle ? Comment ça se passe avec la famille en France ?

Pour commencer, ma vie a presque toujours été en Chine. J’y suis née et y ai vécu pendant cinq ans avec ma famille, avant de partir quatre ans dans le nord de la France et ensuite retourner à Shanghai où je vis depuis maintenant sept ans. J’étudie depuis mon année de CM2 au Lycée Français de Shanghai qui rassemble non seulement des enfants de nationalité française, mais aussi de nationalité chinoise ou autre qui parlent très bien notre langue. J’essaye de retourner au moins une fois par an en France voir ma famille, la plupart du temps lors du Nouvel An chinois (équivalent de nos vacances de février), mais cette année, je n’en suis pas si certaine...


Cela fait un peu plus d’un an que le premier cas de Covid-19 a été déclaré dans la ville de Wuhan, au sud-ouest de la Chine. Maintenant que nous avons un minimum de recul vis-à-vis de ces évènements, penses-tu que ta vie et surtout les gens qui en font partie ont réellement changé ? En France, par exemple, on parle de « monde d’avant » et de « monde d’après ». Es-tu dans une mentalité similaire ?

Bien sûr, c’est dur de parler pour tout le monde parce qu’on ne se pose pas forcément ces questions entre nous, mais très honnêtement, je pense que ma vie n’a pas vraiment changé. Certes, je suis dans une situation économique stable et personne dans mon entourage n’a réellement été touché par le Covid, mais non, je ne pense pas que ma vie a tant changé que ça. Certaines personnes sont restées un peu plus longtemps en France que d’autres, mais maintenant tout est revenu à la normale.


Chez nous, la première réaction lorsqu’on a annoncé le confinement, fin mars, fut une ruée générale vers les rayons pâtes, farine et papier toilette dans les supermarchés. Avez-vous connu des réactions similaires en Chine ?

*rires*

Ah oui, c’était énorme ! Mais non, chez nous, absolument pas. On a eu peur de connaître la même chose qu’en France, mais finalement pas du tout. Bien sûr, je ne fais partie que d’une minorité de la population, mais très honnêtement, je pense que rien de la sorte n’est arrivé en Chine.

Les routes à six voies de Shanghai désertes, février 2020, Impact.s


Peux-tu nous donner quelques précisions quant au confinement que vous avez connu là-bas ? Que pouviez-vous faire ou ne pas faire ?

Eh bien, tout d’abord, si l’on revenait d’un pays ou d’une région autre que Shanghai, il fallait effectuer un confinement total de deux semaines. Dans mon cas, je suis revenue de France au moment où les cas ont commencé à s’accumuler là-bas. L’école avait fermé pour nous depuis à peu près un mois, donc nous avions préféré rester sur place, mais lorsque le virus a commencé à se propager dans le reste du monde, nous sommes rentrés en Chine. J’ai donc dû rester deux semaines enfermée chez moi avec ma famille, sans pouvoir sortir. Je pense que c’était ça l’une des plus grandes différences entre votre confinement et le nôtre. Chaque jour, nous devions tous remplir une fiche qui documentait notre température et tous nos symptômes et qui était par la suite directement transférée à la préfecture de police. Parfois, il y avait même des employés du gouvernement qui venaient, équipés de combinaison hermétique, prendre notre température eux-mêmes pour vérifier que nous ne mentions pas. Nous avons dû rester pendant deux semaines dans ce « sas de désinfection » mais ensuite rien à voir avec la France ! Nous pouvions sortir et aller où nous le voulions tant que nous portions un masque, mais comme une grande majorité des commerces étaient fermés, nous n’étions pas si tentés que ça…


Et l’école ? Comment ça s’est passé ? À Fénelon, nous avions entre quatre à six heures de cours en visioconférence par jour ? Aviez-vous la même chose ?

Eh bien, pour être franche pas tant que ça. Nous n’avions des cours en visioconférence que pour une faible proportion de matières comme les maths, les sciences et parfois les langues, mais les professeurs ne considéraient pas cela comme la méthode la plus efficace pour faire cours. Pour la majorité des disciplines, nous allions donc sur Pronote où le travail était posté quotidiennement et nous rendions les devoirs en fin de la journée.


Et donc, si j’ai bien compris, vous avez pu retourner en cours avant les grandes vacances.

Exact, vers la mi-mai. Les élèves étaient presque tous revenus en Chine dès le début du confinement et nous avons tous pu reprendre en fin d’année, en laissant bien entendu la priorité aux troisièmes, premières et terminales qui avaient leurs examens à passer. Le protocole sanitaire était bien plus strict qu’en France : à l’entrée de l’établissement, nous devions remplir les mêmes fiches de symptômes que d’habitude ; on nous prenait notre température et si celle-ci était quelques degrés plus élevés que la moyenne, on pouvait très facilement être renvoyé chez soi. En classe, on devait porter le masque à tout moment, et dans la cantine, nous avions des créneaux d’une demi-heure attribués à chaque niveau et nous devions manger dans des « box » de plastique qui nous séparaient de nos camarades. Pas très pratique pour discuter !


Et maintenant, une question davantage d’ordre géopolitique : tu as vécu en Chine pendant près de dix ans. Penses-tu qu’il existe un lien entre la gestion très efficace de la crise par le gouvernement chinois et la présence d’un régime autoritaire sur place, ou s’agirait-il d’une simple question de culture et de discipline ?

(Ma connexion a sauté et l’appel a pris fin au moment même. Coïncidence ou bien intervention du gouvernement ? Telle est la question)

Un peu des deux, je pense. Le fait que la Chine repose sur un système autoritaire a bien évidemment contribué à la gestion de la crise. Le régime est non-démocratique et centralisé autour d’un parti unique, ce qui explique très certainement pourquoi la situation a été plus rapidement prise en main, contrairement à des pays comme la France. En Chine, on nous donne un ordre, on l’exécute. Pas de polémique, pas de débat et surtout pas de manifestation. Dans le cas où un étranger ne respectait pas les règles, il pouvait très certainement être expulsé, et dans le cas où il s’agissait d’une personne de nationalité chinoise, la prison était l’option la plus évidente. Mais je pense que la culture a eu son rôle à jouer. Le parti communiste chinois est au pouvoir depuis maintenant plus de soixante-dix ans, donc cette notion de discipline et d’obéissance était déjà bien ancrée dans les mentalités locales. Et bien évidemment, si l’on avait pour projet de ne pas respecter les règles, le gouvernement le saurait très rapidement via les soi-disant systèmes de « cyber-sécurité » et les écoutes téléphoniques d’une partie des étrangers.


Tu es donc consciente de la réalité politique en Chine, mais si tu avais eu le choix, aurais-tu préféré vivre la crise sanitaire là-bas où les libertés individuelles et les droits de l’homme sont bafoués, ou bien en France où la situation est moins bien gérée ?

La Chine, très clairement la Chine. Je ne dis pas que je soutiens les idées loin de démocratiques du gouvernement chinois. Je suis consciente que tout n’est pas tout blanc, tout n’est pas tout noir, et que dans le cas de l’administration de Xi Jinping, de nombreuses choses nous ont été et nous seront éternellement cachées quant à l’origine et la gestion de cette crise. Mais dans le cas d’une pandémie mondiale, je pense que nous pouvons tous mettre de côté notre égoïsme et nos libertés pendant quelques semaines pour nous adapter et garantir le bien commun.


En août, des photos d’une fête aquatique organisée à Wuhan ont fait le tour du monde et suscité la polémique en faisant ressortir des propos xénophobes et anti-asiatiques. Que penses-tu de cela ?

Alors, pour être honnête, je n’en ai pas tellement entendu parler, mais oui, il y a eu beaucoup de cas de racisme au moment où la pandémie a atteint son pic. Je suis d’origine chinoise, j’ai la peau jaune, et je me rappelle que lors de mes derniers jours en France, les gens dans la rue me regardaient assez bizarrement. Cette réaction est compréhensible car dans ce genre de situation, les gens ont tendance à chercher un bouc émissaire, mais je pense que leurs propos restent tout de même inadmissibles. Mais ensuite, le virus s’est très rapidement propagé au sein de la population et ce n’était plus une question d’asiatique ou de non-asiatique, donc je pense que cette partie-là est derrière nous. Et quant à la polémique autour des fêtes de Wuhan, il faut se mettre à la place des gens et se dire que la crise n’a plus lieu d’être en Chine et qu’on ne peut forcément pas empêcher les gens de s’amuser.


Et aujourd’hui, que reste-t-il réellement de la crise ? Devez-vous encore porter un masque à l’école et dans les lieux publics ?

Non, en Chine le masque c’est fini. Depuis fin septembre, on nous prend la température dans la plupart des lieux publics comme l’école ou les centres commerciaux, mais les masques ne sont maintenant obligatoires que dans les infrastructures de santé (hôpitaux, cabinets médicaux, etc.) Ici, la vie a repris son cours depuis longtemps.

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