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Amandine Roux

Comment Dieu est-il mort ?

Quelle ironie de publier un article sur la mort de Dieu dans un lycée catholique ! Mais passons outre la provocation et ouvrons une enquête sur ce curieux assassinat.


Image de Gustav-Adolf Schultze dans Nietzscheécrit par Walter Kaufmann paru aux éditions Princeton Paperbacks, (Quatrième édition)


12h00. Sur une place de marché, quelque part en Allemagne, un homme insensé allume sa lanterne et hurle « Dieu est mort ». Parmi la foule retentissent des cris de panique, des moqueries, des pleurs affolés. Que faire face à ce constat désarmant ? Le Fénelon’Ménal ouvre une enquête sur cette mort qui n’aura bientôt plus de secret pour vous ! Pour tenter de mieux comprendre ce mystère, plongeons-nous dans le Gai savoir de Nietzsche, un philosophe allemand du XIXe siècle.


Profil de la victime : Qui est donc ce « Dieu mort » ?


Le paradoxe est affirmé : l’immortel est mort, la mer est vidée, l’impossible est sous nos yeux. En contemplant une première fois la scène de crime, la mort de Dieu paraît être le diagnostic d’un athéisme grandissant. Seconde hypothèse : elle serait symptomatique d’une foi devenue une « convention sociale », dépourvue de toute morale. Mais en étudiant minutieusement la situation, nos détectives comprennent que le sang qui coule n’est pas celui de l’entité divine que les humains aiment à se représenter, mais que ce sont bien les valeurs portées par la chrétienté qui sont mortes.


Et c’est grave docteur ?

La bonne nouvelle, c’est que la mort de Dieu n’est pas un drame en soi. Dans le texte de Nietzsche, l’insensé arrive sur une place où « se trouvaient précisément rassemblés beaucoup de ceux qui ne croyaient pas en Dieu » (Le Gai Savoir, livre III, 125, l.5). Autrement dit, il explique à des athées la mort de Dieu : rien de nouveau pour eux. Cet homme insensé alerte, non pas de la mort de Dieu, mais de ses conséquences. Car le deuil à faire ici n’est pas celui de Dieu, mais celui des vieilles valeurs judéo-chrétiennes. Si le temps des Dix commandements est révolu, si « tu ne tueras point » et « tu ne voleras point » ne régissent plus nos comportements, qu’adviendra-t-il de nos sociétés ?



Qui est l’assassin ?


Si l’on en croit cet homme insensé, c’est bien « nous qui l’avons tué ». « Nous », à savoir nos ancêtres du XIXe siècle. Pour Nietzsche, l’humanité est entièrement responsable de cet assassinat. Pour mener une enquête sérieuse, il convient de s’interroger sur le mobile ; l’humanité n’éprouvait-elle plus le besoin de croire en Dieu ? Mais alors, que croire ? En qui placer ses espérances et ses demandes ? Car chacun en a déjà fait l’expérience, l’être humain a besoin d’un sens, d’un repère : l’infini est trop vertigineux, le chaos est trop vaste, l’être humain trop étroit. La mort de Dieu laisse en nous un grand vide métaphysique : sans Dieu, d’où viens-je, qui suis-je, où vais-je ?



Nihilisme pour faire notre deuil


Difficile de surmonter un deuil. Heureusement, notre cher docteur Friedrich Nietzsche nous propose un traitement efficace : le nihilisme (mais attention, pas n’importe lequel !). Le nihilisme est engendré par la perte de valeurs, et consiste à en rejeter radicalement de nouvelles. Il existe pour Nietzsche deux nihilismes : l’un passif et l’autre actif. Pour un nihiliste passif, la vie n’a aucun sens : cela ne sert plus à rien d’agir, puisque tout est vain, vide, perdu, insensé. Ce pessimisme conduit à l’inaction, qui entraine l’auto-anéantissement de l’Humanité. Pour une petite touche d'optimisme, mieux vaut se tourner vers le nihilisme actif : c’est lui qui nous permet de surmonter la mort de Dieu. Nietzsche explique que, quitte à perdre nos valeurs, autant les remplacer par de nouvelles, qui restent à inventer. La quête de ces valeurs doit revaloriser l’être humain et lui offrir un renouveau, une perspective de gaie existence. Cependant, marcher sur le cadavre de Dieu pour créer une vie nouvelle nécessite de la force, de la volonté et de la puissance.



Dieu va-t-il ressusciter dans trois jours ?

Et bien non, et cela est même préférable car pour Nietzsche « la notion de « Dieu » a été inventée comme antithèse de la vie » (in Ecce homo, publication posthume). La religion nie la vie (car elle dévalorise l’humain, stigmatise les plaisirs et favorise les faibles). La mort de Dieu est alors nécessaire pour que l’homme s’accomplisse, pour qu’il croie en sa valeur, qu’il soit libre, bref pour qu'il ait de nouveau foi en la vie et lui-même, plutôt qu’en Dieu.



Quelques pistes de réflexions après votre lecture :

  • Quelles sont mes valeurs ?

  • Face au dérèglement climatique, suis-je dans un nihilisme passif ou actif ?

  • Une citation à méditer : « Hommes supérieurs ! Maintenant seulement la montagne de l’avenir humain va enfanter. Dieu est mort : maintenant nous voulons, que le Surhumain vive ! » Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche.



 

Pour aller plus loin :


Pour lire le texte issu du Gai savoir dont est tiré la citation :

 

Sources :


Friedrich NIETZSCHE, Le Gai savoir, la gaya scienza, première édition : 1882 par E. Schmeitzner - disponible au CDI du lycée

Pour Comprendre la philosophie globale de Nietzsche en cinq minutes : « Le Coup de Phil' #17 - Le Surhomme de Nietzsche », 14 mai 2015

Pour explorer le concept de surhomme, de volonté de puissance : « Dieu est mort : pourquoi Nietzsche a dit ça ? », 23 janvier 2020, par « Doria », sur le site de l’institut Pandore,


« Dieu est mort », deuxième épisode de la série sur le Quatre malentendus nietzschéens sur les Chemins de la philosophie, présenté par Adèle van Reeth https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/quatre-malentendus-nietzscheens-24-dieu-est-mort


« Dieu est mort », quatrième épisode de la série sur le Gai savoir sur les Chemins de la philosophie, présenté par Adèle van Reeth 


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